Plume au bout des doigts

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    En Vla des trucs en vla (Astuces).

    Damien Corbet
    Damien Corbet
    Admin


    Messages : 73
    Date d'inscription : 06/12/2009
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    Message  Damien Corbet Ven 11 Déc - 11:31

    Document source : http://aimantlitteraire.forumdediscussions.com/trucs-et-astuces-d-ecriture-f7/en-v-la-des-trucs-en-v-la-jean-claude-dunyach-3-t22.htm



    La rythmique
    Encore un point quintessentiel pour moi ! Jeury (toujours lui) m'a dit un jour : "Le beau style, c'est le galop d'un cheval dans une cour pavée". Je ne connais pas de formule qui résume mieux ce que j'aime dans un texte bien rythmé. Pour moi, le rythme est indissociable d'un texte réussi. Et cette notion intervient à divers niveaux :
    Le rythme de la phrase, le jeu des cassures, des mots qui "sonnent". Tous les rythmes sont possibles, bien sûr, et dépendent de l'action en cours, du mouvement de caméra orchestré par le narrateur. Cela peut être de la poésie, un jeu avec les rythmes de versification classiques (volontairement ou involontairement. J'ai terminé il y a peu de temps une nouvelle dont la dernière phrase se termine par "à présent que je sais ce que savent les morts.". Je n'ai découvert l'alexandrin qu'en lisant la nouvelle à haute voix), ça peut être aussi un jeu sur les dissonances rythmiques (par exemple dans un dialogue entre un vieux monsieur et un jeune homme, les rythmes des répliques devraient être sensiblement différents), ou un reflet de l'action en cours (la description d'un personnage qui court pour sauver sa vie ne sonne pas du tout comme la description d'un personnage qui flâne devant les vitrines). Exemple d'exercice pour un atelier de lecture : Décrire un personnage qui commence par flâner devant les vitrines, puis qui s'aperçoit qu'il est suivi (cassure dans sa démarche), puis qui court pour échapper à son suiveur.

    Le rythme du paragraphe, du dialogue. Une erreur de débutant, que j'ai souvent rencontrée (et encore plus souvent commise) consiste à écrire des paragraphes entiers qui "ronronnent", des alignements de phrases sans aspérités, construites sur le même moule rythmique. En général, on ne s'en aperçoit pas directement à la relecture, l'impression de malaise surgit une page ou deux plus loin. Difficile de détecter d'où elle vient (ne pas hésiter à remonter en arrière de deux pages et de tout lire à haute voix).
    Pour moi, un paragraphe doit avoir de la chair et des os. Il peut y avoir des phrases saillantes, pointues, dures, et des phrases enrobantes, plus charnues. Des phrases courtes, brutales. Des phrases qui prennent le temps de décrire plus précisément, avec des pauses en cours de lecture, ce qui se passe. De même, dans une unité de texte (une description, par exemple) il peut y avoir des paragraphes de longueur et de style sensiblement différents suivant que l'on passe d'une partie statique de la description (un paysage de campagne, par exemple) à une partie plus dynamique (un oiseau qui jaillit de derrière un buisson).
    De même une cassure brutale et injustifiée du rythme, ou pire, un ramollissement, peut vous éjecter du texte ! Il existe des livres durant lesquels on a envie de zapper ! C'est souvent (pas toujours) parce que le rythme est perdu. C'est dommage.
    En fait, c'est très difficile de donner des recettes dans ce domaine. C'est quelque chose qui relève tellement de l'instinct qu'on ne peut formaliser qu'après, quand le texte est écrit.

    Je soulignerai néanmoins trois astuces :
    ·S'imposer un cadre rythmique strict dans son environnement (pour ceux, comme moi, qui travaillent en musique, ne pas hésiter à enregistrer une seule chanson en boucle qui sera écoutée durant tout le temps d'écriture de la nouvelle, ou au moins de la scène). Ça permet de faciliter une sorte "d'unité rythmique" tout au long du texte. Il m'est même arrivé, pour certains textes, de faire une bande sonore uniquement constituée de rythme, avec une batterie programmable, en me prévoyant des "ruptures sonores" pour casser un petit peu le rythme (c'est moins nécessaire avec une chanson qui est déjà censée posséder ses propres cassures).
    ·Une fois le texte écrit, le lire à haute voix. Vérifier que ça sonne, qu'on ne s'essouffle pas (on s'essouffle à lire comme à dire, essayez avec Proust qui était asthmatique). Flaubert appelait ça "le gueuloir". C'est impitoyable, comme test.
    ·Pour les passages délicats, marteler le rythme sur un coin de table tout en lisant, comme si vous battiez la mesure. Ne riez pas, essayez ! On découvre des trucs.
    En fait, les deux aspects complémentaires Rythme et Vocabulaire se ressemblent en ce qu'ils permettent d'enfermer plus d'information dans le texte qu'il ne paraît en contenir au premier abord. Un texte, c'est d'abord du sens mais c'est loin de n'être que ça. Un vocabulaire bien choisi permet de générer des ambiances, des sensations et permet d'enrichir le contexte narratif sans le surcharger de mots. Un exemple : il y a un abîme de différence pour moi entre le mot "glace" et le mot "sorbet" ; on lèche une glace, on déguste un sorbet. L'un sert à rafraîchir, l'autre constitue un plat plus raffiné. Donc, la phrase : "Au cours de leur promenade, il lui offrit une glace" sous-entend (pour moi) qu'ils l'ont mangée en marchant, alors que "Au cours de leur promenade, il lui offrit un sorbet" sous-entend qu'ils se sont arrêtés quelque part, par exemple à la terrasse d'une pâtisserie. Les relations entre les deux personnages divergent assez nettement d'un cas à l'autre.
    De même, un rythme bien fichu donne du mouvement à la caméra, souligne des actions ou introduit des ralentis, là aussi avec une économie de mots. Le texte y gagne en densité, en profondeur, et laisse des impressions plus durables.


    Le mythe fondamental

    Pour moi, un texte n'est jamais seul. Il s'appuie sur un ensemble d'histoires qui l'ont précédé, il revisite des mythes, des obsessions, des archétypes déjà rencontrées ailleurs, il profite du déjà-vu/déjà-lu. On peut, bien sûr, traiter le phénomène avec une superbe indifférence et réinventer la littérature à chaque page (j'aurais tendance à penser qu'il faut un talent que je n'ai pas ). On peut aussi jouer avec, s'appuyer sur le passé comme sur une canne ou le tordre en forme de Bretzel. Toutefois, cela demande un minimum de connaissances et de préparation.

    Un exemple :
    J'ai eu à écrire (dans "Étoiles Mortes : Nivôse") une scène où le héros, Closter, descendait dans l'esprit d'une ville pour en ramener l'esprit de sa bien-aimée (à l'apparence de fantôme). Il y parvenait en accordant ses pas sur de la musique (les Gymnopédies de Satie, entre autre) et en l'entraînant avec lui grâce au rythme du morceau musical. Ceci renvoyait tout naturellement au mythe d'Orphée. J'en étais parfaitement conscient au moment d'écrire le texte et j'ai donc préparé un ensemble de notes sur les correspondances et les dissonances entre la scène que je souhaitais et le mythe. Cela m'a amené à chercher derrière le mythe d'Orphée des mythes plus anciens ("l'épopée de Gilgamesh", par exemple, où celui-ci va chercher son ami et "autre lui-même" aux enfers). Puis, une fois que tout ceci a été clair dans mon esprit et que les notes (en désordre) ont été écrites, j'ai pu balancer tout ça à la poubelle et écrire ma scène d'un jet, suivant ce que j'avais envie de dire. Je crois, enfin j'espère, que des correspondances sont présentes dans ce passage, qui s'en trouve enrichi. Je n'ai pas fait l'effort explicite de les y mettre (je ne me suis pas dit qu'il fallait incorporer tel ou tel lambeau de phrase écrite à l'avance, ni telle ou telle citation), je les ai simplement gardées à l'esprit et elles se sont glissées entre les mots, à la place qui leur revenait de droit.

    Le texte obtenu en fonction du texte souhaité
    Écrire un texte revient à fabriquer quelque chose qui doit générer un ensemble d'effets. Autant d'effets que l'écrivain peut l'imaginer, et même plus si c'est possible. Pas quelque chose de retenu, la retenue est un effet comme les autres, mais jamais un moyen. Écrire avec retenue, ça n'existe pas. C'est comme les photos de nu pudiques, ça ne consiste pas à rhabiller le modèle mais à varier les éclairages. Pour faire un nu pudique, il faut d'abord déshabiller le modèle entièrement et bien le regarder. À ce stade-là, le modèle en tant que personne n'existe pas, on se fiche de ses pudeurs, de ses hésitations mal placées. On lui fait prendre la pose, on le visualise de la façon la plus crue possible, puis on estompe certaines parties afin de générer l'effet voulu. Le flou, le dissimulé, doit être volontaire et relever d'un acte déterminé. Ça se voit dans un texte si l'auteur a voulu masquer volontairement son sujet ou si l'effet de flou provient d'un manque de rigueur ; dans le premier cas, le photographe a le modèle sous les yeux, bien éclairé, il voit tout ce qu'il veut voir, il sait (mais il choisit de ne pas tout montrer ou dire). Dans le deuxième cas, il prend au téléobjectif et certains détails restent flous, même pour lui.
    Je trouve très difficile de m'imposer cette rigueur, cet éclairage cru, avant d'écrire le texte. J'élimine inconsciemment trop de choses à l'écriture. Je n'ai pas encore cette jouissance de l'impudeur qui est une composante nécessaire de l'écrivain. L'écrivain, c'est quelqu'un qui déambule avec un grand imperméable et rien dessous, et qui attend l'occasion favorable pour tout montrer. Pas gratuitement (enfin, on essaye de ne pas se déshabiller pour rien), mais autant que nécessaire, et sans doute un petit peu plus, pour être sûr d'en donner assez. Dans ce métier, on n'en fait jamais trop !
    À ce stade-là, la technique devient un problème tout à fait secondaire. Si j'ai décidé de l'effet que je veux réaliser, la méthode se trouve dans tous les manuels d'écriture. Ou alors on pose la bonne question à un écrivain chevronné (moi je faisais ça avec Jeury, par exemple) et on a la réponse immédiatement. Genre, "Comment puis-je décrire cette scène de séparation déchirante sur le quai du RER sans tomber dans le sentimentalisme, mais en faisant comprendre au lecteur les sentiments des protagonistes". On récupère ainsi des conseils sur la manière de formuler le dialogue, la posture des personnages (le corps fatigué, avec une excitation qui renaît, les épaules courbées sous le poids des sacs et des valises, le bruit des trains qui les fait sursauter, etc ). Alors que si je demande "comment écrire un bon texte se passant dans une gare ?" je n'aurai pas de réponse. Enfin pas de réponse utilisable.
    Un point entre parenthèses : j'ai souvent discuté avec divers écrivains de la manière de "faire passer" de l'information dans un texte. Il semblerait qu'il y ait des règles empiriques.

    Par exemple :
    ·Donner deux fois (avec un intervalle de pas mal de pages) les informations les plus importantes, sous une forme assez voisine pour générer un "écho" dans l'esprit du lecteur.
    ·Lorsque la zone de texte en cours est riche en informations, il vaut mieux 1) faire des paragraphes courts (une idée/une info par paragraphe) et 2) mettre la partie la plus importante au début ou à la fin du paragraphe, avec des phrases courtes ou du moins "qui cassent le rythme". Les gens qui ont fait des études sur le processus de lecture disent que le milieu d'un paragraphe trop long n'est tout simplement pas lu par la plupart des lecteurs
    ·Associer une information à un instant "dramatique" ou "intense" permet de fixer plus facilement cette information dans l'esprit du lecteur. Exemple :
    -- Au fait, c'est moi qui ai tes clés, dit-elle en rangeant le lave-vaisselle.
    à comparer avec :
    Brutalement, la minuscule corniche céda sous ses doigts. Avec un hurlement d'épouvante, elle dévissa le long de l'à-pic tandis que la corde de rappel se tendait jusqu'à la limite de rupture. Il y eut un claquement sec ; la manille de rappel avait cédé. Le corps désarticulé rebondit le long du glacier et disparut dans une crevasse.
    -- C'est elle qui avait mes clés ! réalisai-je avec horreur.

    Bien sûr, le fait que cet exemple soit éminemment phallocrate est hors du sujet !

    Paradoxalement, il est très difficile de trouver un bon "étalonnage" personnel quand on écrit, parce qu'on relit son texte en voyant ce qu'on a voulu y mettre et non ce qu'on y a réellement mis. Il faut donc du temps pour que ce genre d'impression s'estompe, il faut surtout bâtir ses propres critères d'évaluation, ce qui est un processus lent et fastidieux. D'où l'utilité des lecteurs tests, qui aident à se recaler.

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